Etienne-Jean Delécluze, Henri IV et le batelier, paire de dessins
Élève de David, mais tôt acquis au rôle de critique artistique et de littérateur, opposant déterminé aux nouveautés romantiques, oncle de Viollet-le-Duc, disert sur son temps (il est auteur de Souvenirs, d’un Journal et d’un Carnet de route d’Italie), Étienne Jean Delécluze, véritable « Nestor artistique » (selon l’expression du Charivari en 1842), campe au cœur du xixe siècle, sans cesser de cultiver un goût très prononcé pour le dessin. Plus porté vers la mythologie et l’Antiquité, ou vers le portrait, que vers les souvenirs historiques, il aura cependant fixé quelques témoignages graphiques de son temps conservés au château de Versailles et relatifs aux événements militaires de 1814-1815 : Prisonniers russes défilant sur le boulevard Saint-Martin, Blessés de la garde impériale rentrant à Paris et Troupes alliées russes et anglaises cantonnées à Paris en 1815.
C’est après la chute de l’Empire que ce peintre pourtant estimé semble renoncer définitivement à la carrière d’artiste. Demeurant à l’écart d’une activité officielle, il vit dans les premières années de la Restauration un temps de retour sur soi, cultivant le dessin en privé et envoyant une part de cette production à ses proches, à ses amis11. Jean-Pierre Mouillesaux, dans Delécluze 1983, p. vi ; Baschet 1942, p. 36.. C’est le cas, en 1816, de cette scène historique en deux temps22. Non cités dans le catalogue établi ibid., p. 439-442. adressée au peintre genevois Gédéon Reverdin (1772-1828), lui aussi élève de David – une lettre du 31 mars de la même année, rappelée par une étiquette au dos du cadre, atteste cet envoi et reflète la proximité des deux dessinateurs. Attaché à la tradition classique, Étienne Jean Delécluze aborde ici le légendaire henricien, quoiqu’il se défende de participer au goût troubadour à la mode. Lui pourtant qui, quelques années plus tard, déplorait la recrudescence dans ces sujets d’une « gloriole nationale mal entendue » (Journal des débats, 8 septembre 1824) préjudiciable à l’éclosion de vrais talents…
La matière est puisée dans les Antiquités de Paris de Sauval, parues en 1724 avec les Amours des rois de France, et dans les Essais historiques sur Paris de Saint-Foix (dont les éditions sont nombreuses de 1754 à 1805), ce dernier ouvrage ayant fourni, mot pour mot, la lettre des deux dessins33. Germain François Poullain de Saint-Foix, Essais historiques sur Paris, 5e éd., t. I, Paris, veuve Duchesne, 1776, p. 285-286, Passage de la Seine au Quai-Malaquais, ou des Quatre-Nations.. Au port Malaquais, le batelier qui fait traverser la Seine à Henri IV ne s’est pas avisé de la qualité de son passager, et critique vertement le roi, qui pressure son peuple pour entretenir « une méchante putain » (Gabrielle d’Estrées)... On se retrouve devant Henri pour la confusion du batelier, convoqué en présence de la royale maîtresse et finalement pardonné.
Collection Gédéon Reverdin (1772-1828), destinataire de ces deux dessins ; préempté en vente publique, Paris, Christie’s, 16 décembre 2005, no 151 (arrêté du 19 décembre 2005).