Eugène Devéria, Portraits de notables pour l’« Inauguration de la statue de Henri IV sur la place Royale de Pau par S. A. R. Mgr le duc de Montpensier (27 août 1843) »
Le 27 août 1843, Pau inaugurait sa statue d’Henri IV, place royale, en plein cœur de la ville, au moment où la restauration du château par les architectes de Louis-Philippe battait son plein. Trois cents instrumentistes et chanteurs conduits par le violoniste et chef d’orchestre Charles Habeneck interprétèrent, pour saluer l’arrivée du cortège mené par le duc de Montpensier, le plus jeune des fils de Louis-Philippe, l’ouverture de La Bataille d’Ivry de Martini suivie du chœur de Judas Macchabée, puis la cantate spécialement versifiée par Liadières, député d’Orthez, personnage on ne peut plus officiel, sur une partition signée d’Auber, le non moins officiel compositeur de la Parisienne.
Quant au tableau d’Eugène Devéria, il fut commandé par Louis-Philippe le 31 octobre 1843 ; il était exécuté en 1845 et fut exposé au Salon de 1846 (no 534). Cette immense toile (fig. 111 - 153 a), restée dans les collections de Louis-Philippe, était mentionné au château de Rambouillet en 1888 ; elle devait entrer au château de Versailles à une date inconnue11. Huile sur toile, 2,97 x 4,05 m, signé et daté en bas à gauche : Eug. Devéria 1845, Versailles, musée national du Château, inv. 4577, MV 6884.. Une version réduite antérieure, offerte par Louis-Philippe au duc de Montpensier et demeurée chez ses descendants au palais royal de San Telmo de Séville, puis au château de Randan, a été acquise en 1999 par le château de Pau22. Huile sur toile, 63 x 81,5 cm, signé en bas à gauche : Eug Deveria., Pau, musée national du Château, inv. P. 99.1.1 ; Pau 2005-2006, no 64.. Un album de dessins conservé à Lourdes, probablement monté par Eugène Devéria lui-même, contient plusieurs études préparatoires, dont une de l’ensemble de la composition33. Plume, encre brune, crayon, estompe, mise au carreau sur papier calque brun, 22,6 x 30 cm, Lourdes, Musée pyrénéen, Album P2, inv. E 1833 ; Pau 2005-2006, no 60.. Le talentueux auteur de la Naissance d’Henri IV (Salon de 1827), qui triomphe alors dans la fleur de ses vingt-deux ans, s’est mué depuis en « ermite » calviniste, établi à Pau dès 1841 et retiré des grands bouillonnements de l’art. Les succès de la veille lui ont ouvert la voie parmi les artistes recevant des commandes officielles sous la monarchie de Juillet. Celle dont il est ici question devait se heurter à une indifférence cruellement ressentie par son auteur. On s’accorda tout de même à trouver à ce grand morceau commémoratif « de la grâce et de la fraîcheur44. J. Macé, cité par Gauthier 1925, p. 131. », qualités plutôt inattendues pour une œuvre relatant une cérémonie pour le moins compassée. La France des notables s’affiche en rangs constitués, dans un concert de louanges provinciales au régime de Juillet. Aux premiers temps du règne, Eugène Devéria, avec Louis-Philippe Ier prête serment, devant les Chambres, de maintenir la charte constitutionnelle (1831-1836), avait su faire souffler un air élégant sur cet exercice tout à la fois politique et descriptif révélant en outre un portraitiste de grand talent.
Aux princes et aux grands, l’artiste substitue la galerie des notables départementaux massés autour du duc de Montpensier, spécialement dépêché par le roi, et de sa suite (dans laquelle avaient pris place le duc Decazes, le marquis de Lusignan ou encore le baron d’Henneville) : préfet, députés, conseil général, maire et conseil municipal, généraux, garde nationale, sans oublier l’inépuisable vivier de la cour, avocats et magistrats réunis.
Si la critique se montra insensible à ce portrait collectif, la fierté locale réagit bien autrement : « Cette œuvre, écrivait le Mémorial des Pyrénées, cité avec une discrète ironie par L’Artiste, laisse entrevoir, outre une ordonnance de détails très remarquable, une ressemblance frappante chez les personnages qui figurèrent au premier rang de cette solennité béarnaise55. Gauthier 1925, p. 128-129.. » Résumer ainsi les mérites de l’ouvrage ne revenait pas à un grand éloge, mais cette ressource fut bien connue de l’auteur et soigneusement mise à profit, donnant toute leur importance à nos dessins. Paul Lafond, biographe fort sévère d’Eugène Devéria, observant le grand nombre d’études faites par le peintre pour le tableau de L’Inauguration de la statue d’Henri IV, notait que « ces dessins offriraient certainement un grand intérêt et mériteraient bien de figurer au musée de la ville de Pau66. Lafond 1896, p. 24. ». Ceux-ci constituent une sorte de série d’archives annotée, retenant pour chaque portrait, comme en abrégé, mais avec délicatesse et précision, les caractères et l’effet recherchés. Une rapide typologie de l’ensemble fait d’ailleurs apparaître deux modes de présentation : l’un exécuté au pastel le nom du personnage sous forme d'une signature imitée, non sans rapport avec la pratique en usage dans certains portraits lithographiés, l’autre au crayon, comportant dans quelques cas une signature imitée. Une numérotation suivie a été affectée par l’auteur lui-même à chaque portrait. Quelques indications marginales portées en haut des dessins confirment de plus que des séances de pose furent organisées. Car aux rigueurs de la critique parisienne se superposent les caprices d’une clientèle dont les exigences se déclinent avant tout en termes de ressemblance et de complaisance…
Concernant les dessins et le tableau correspondant
Bascle de Lagrèze 1886, p. 461
Barthety 1890, p. 207-209
BSACP, no 115, 1989, p. 11-12
Vercier 2003, p. 120
Mironneau 2003, p. 33
Notice d’exposition concernant l’achat du tableau, Revue du Louvre, 2000-4, p. 102, no 40
Cat. exp. Pau 2005-2006, no 64 et p. 36, 114, 118, 121-122, 124