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C’est un ensemble original et attachant dont nous proposons aujourd’hui la découverte, dans l’état où il se trouve : inachevé quant à sa constitution et quant à sa couverture scientifique. Un plus vaste public pourra relever de nombreux éléments de curiosité, et les lecteurs les plus avertis en tireront d’utiles prolongements pour la recherche. Les uns et les autres contribueront à une meilleure connaissance de ce fonds resté confidentiel hors de quelques furtives apparitions à la faveur d’expositions thématiques. Celle qui en 1990, sous la conduite de Patrick Dupont, alors directeur du musée national du Château de Pau, présentait une centaine de pièces soigneusement choisies avait été l’occasion de jeter un premier regard sur la joyeuse et agréable diversité de cet ensemble. Constitué en effet autour du visage engageant et familier du plus populaire de nos rois et de sa première demeure au pied des Pyrénées, il suscite à tout le moins un indéniable intérêt historique et littéraire.
Des surprises ? La collection n’en réserve guère, cependant, à ne la considérer que sous l’angle des sujets abordés. Henri IV et son château natal occupent tout le terrain, en une interminable série de portraits ou de situations dont seul un petit nombre revendique une réelle originalité créative. Deux vues de Rome de l’architecte Vaudoyer (cat. 51 et 52), à la fin du XVIIIe siècle, une intrépide Jeanne Hachette de Clément Pierre Marillier (cat. 48), à la même époque, et quelques autres heureuses anomalies confirment la règle ; le fonds est henricien, il ménage ensuite une place importante au paysage, à travers un même monument maintes fois répété. Encore la situation particulière d’une statue fameuse dans l’histoire (deux statues successives, devrait-on dire) au cœur de Paris, sur le Pont-Neuf, occasionne-t-elle, jusqu’au XXe siècle avancé (cat. 260), d’originales diversions à travers le paysage de la capitale et les grandes heures de son passé. Parfaitement voulue et organisée, cette cohérence traduit sans détour la politique d’acquisition suivie sans accrocs par plusieurs générations successives de conservateurs, depuis l’entrée dans les collections, en 1948, du premier et modeste portrait calligraphique du Béarnais par Auvrest (cat. 71). Orientations apparemment simples… et pourtant, une véritable diversité d’approches traduit autant de nuances relatives au milieu de création, aux techniques employées. Et, reconnaissons-le aussi bien simplement, des qualités esthétiques bien inégales.
Sur ce point, quelques précisions paraissent d’emblée nécessaires. La constitution et l’enrichissement du fonds tiennent ici de l’enquête, de la collecte, autant et parfois davantage que du choix individuel. De très modestes réalisations, qui n’ont d’autre valeur que documentaire, ont trouvé leur place dans la cohérence d’un parcours qui nous mène des toutes premières années du XVIIe siècle aux dernières décennies du XXe, sans clore d’une parole définitive la richesse d’une évocation nécessairement inégale, mais dont l’effort de reconstitution méticuleuse s’inscrit pleinement dans les perspectives actuelles du musée. Les touchantes gouaches du tout jeune mais déjà fort érudit Raymond Ritter (cat. 271-278), irremplaçable historien du château de Pau, instruisent, au début du XXe siècle, un regard sur ce monument et son étude archéologique qui n’est pas indigne d’une perception approfondie de son évolution et de son historiographie. D’autres passages paraîtront vraiment rebutants (tel paysage maladroit accusant cruellement son amateurisme) ou décidément trop légers (maquettes d’affiches publicitaires ou de cartes de vœux, grivoiseries de caricaturistes dont la bonne humeur est inégalement inspirée…). On finirait par douter de la définition même du dessin, parfois si proche de l’écrit qu’il peine à s’en affranchir. Si la calligraphie nous semble tout à fait bienvenue dans l’univers des arts graphiques, la présence d’un horoscope aquarellé couvert de chiffres et d’inscriptions (cat. 56) relève davantage de l’ouverture circonstancielle à une catégorie hybride. S’agissant en revanche des plans aquarellés de l’architecte Famin (1776-1859), projetant de chimériques restaurations du château de Pau en 18241, nous avons préféré réserver ce beau document à de futures enquêtes sur les cartes et plans, dont le musée possède une brève mais intéressante collection. Quoi qu’il en soit d’arbitrages parfois délicats, toute cette matière a un sens dans le contexte d’une étonnante vitalité rendant hommage tant au personnage historique d’Henri IV qu’au personnage légendaire dans son exceptionnelle plasticité, dans cette affinité primordiale avec la scène, avec la fantaisie, et plus d’une fois avec la poésie, sur leur versant le plus imagé.
Un rapide itinéraire à travers les dessins du château de Pau suffit cependant à suggérer l’essentiel : la thématique henricienne n’est pas réduite à des images (aussi séduisantes que soient certaines). Elle révèle en effet de véritables ressources de sens touchant d’abord à une aventure politique cruciale pour l’apaisement des guerres de Religion. Henri IV signant la ratification de son abjuration (cat. 27) est la précise illustration, dans la Florence des Médicis, d’enjeux internationaux de haut niveau. Mais cette quête de sens à laquelle le dessin prête la forme et l’idée puise largement aux leçons posthumes d’un roi dont l’assassinat aura imprimé le souvenir dans les consciences. Le Britannique William Hamilton, au temps de la Révolution, revient d’ailleurs sur la shakespearienne violence de cette séquence d’une histoire de France ponctuée de coups de théâtre (cat. 46). Le XIXe siècle cherche les couleurs d’un passé national dont les sentences exigent tout l’arsenal du drame romantique, couleur locale et chronique à l’appui, dans le recours à des pratiques complexes et la recrudescence des tentations picturales. Entre les codes de l’illustration et les fastes de la grande peinture de genre historique, un terrain expressif s’offre à cette retranscription parfois truculente d’un propos unissant les exigences de rationalité aux délices de l’émotion (L’Abjuration de Henri IV (cat. 240), Henri IV ramené au Louvre [cat. 214] par Joseph Nicolas Robert Fleury).
Au vif de ces recherches variées, les techniques graphiques mettent à profit un répertoire contrasté, caressant, ciselant ou sculptant à grands traits la poursuite d’une idée qui répète ou réinvente une historiographie en perpétuel renouvellement. À ce titre, les travaux de copie ou d’adaptation pour l’illustration (on constatera, à ce propos, l’importance qu’il convient de donner à un tableau devenu canonique, comme l’Entrée d’Henri IV à Paris du baron Gérard, qui sécrète des déclinaisons variées) ont leur place dans cette analyse de réception et d’interprétation dont la continuité résulte du tissu inégal mais fourni des quelque deux cent quatre-vingt-trois pièces réunies. Si certains sous-ensembles, comme celui formé par les portraits nés sous le crayon d’Eugène Devéria (cat. 111-153) à l’occasion de l’inauguration par le duc de Montpensier de la statue du Béarnais sur la place royale de sa ville de Pau (1843), permettent de pénétrer de façon plus approfondie dans les procédés et les usages d’un artiste dont on suit jusqu’aux états d’âme face à l’usage social décevant de ses productions, des mains beaucoup plus secrètes ont œuvré. Tel cet Henri Bellange (1613 – entre 1672 et 1680), lorrain d’origine et de goût (il est fils du grand Jacques Bellange) dont les techniques complexes servent un style extrêmement traditionnel assujettissant l’art du portrait à des modèles reconnus, interprétés avec une préciosité de moyens d’un très bel effet (cat. 1-26).
Non moins dense quoique plus ramassée sur le plan chronologique, la part qui revient au paysage réserve un arrière-plan technique éclairant ; elle connaît de toute évidence un âge d’or au printemps du romantisme, lorsque les élèves de Valenciennes (le baron Lejeune l’illustre bien) arpentent les Pyrénées, convaincus d’y retrouver les qualités plastiques et l’inspiration auxquelles ils tendent (cat. 201). Elle alimente dès ce moment une florissante production de livres où les ornements du récit ne se séparent pas d’un appareil figuré organisé au mieux de la modernisation des techniques de l’estampe. Le dossier laissé par Armand Gustave Houbigant (cat. 170-195) est davantage celui d’un amateur que d’un véritable artiste, mais il représente un matériel authentique et utile pour comprendre la pratique et l’esprit de ce type d’ouvrages et de leurs éditeurs, ainsi que le rôle et les possibilités de la lithographie dans toute une strate de publications didactiques à forte composante visuelle. À cet exemple, on comprend la réelle difficulté que représenterait le tracé d’une frontière étanche entre les pièces à caractère exclusivement documentaire et de réelles œuvres d’art dont la collection offre de vrais aperçus, comme le sobre et délicat mais magistral Henri IV rencontrant Sully blessé de François André Vincent (cat. 55).
Placée au cœur d’un musée inscrivant toute son activité dans une affinité certaine avec le souvenir historique, la collection graphique du château de Pau mérite d’y tenir un rôle important. Celle-ci, il est encourageant de le constater, trouve des échos significatifs et nombreux dans la plupart des domaines artistiques représentés au musée. Les arts décoratifs n’y font pas exception. Non seulement l’une des séries de tapisseries que l’on peut admirer dans le parcours de visite entretient un lien nourricier avec les œuvres de Vincent et de son élève Thomassin (cat. 50), mais d’autres spécialités comme la porcelaine, avec des dessins préparatoires de la main de Jacques Charles Develly (cat. 103-110), et même le vitrail, avec une belle maquette de Nicolas Auguste Hesse, dans un travail destiné à l’hospice Saint-Charles à Rosny (cat. 168), y ont fait leur entrée. Sur un autre registre, toute la littérature narrative, dramatique ou politique saluant « le seul roi dont le peuple ait gardé la mémoire » est ici convoquée. On aura noté, en particulier, les innombrables références à l’Histoire du roi Henri le Grand d’Hardouin de Péréfixe (1661) ou les multiples allusions à des œuvres comme La Henriade de Voltaire (1728) ou La Partie de chasse de Henri IV de Charles Collé (comédie publiée en 1766). Mais la vague graphique déborde les réjouissances officielles, dont les cérémonies relatives à l’inauguration de la statue du Vert-Galant, œuvre de Lemot, en 1818 au Pont-Neuf, constituent une étape essentielle (on remarquera notamment la version attribuée à l’architecte Hittorff, cat. 169). Sans quitter le Pont-Neuf, elle s’aventure jusque dans quelques modernes diversions, comme cette cruelle fantaisie imaginant la statue penchant vers les eaux et le malheureux cavalier s’écriant : « Ventre Saint-Gris, Messieurs, je ne sais pas nager » (cat. 280), ou comme la petite aquarelle fort poétique jetée sur une feuille de carnet par Joseph Victor Roux-Champion (cat. 279).
Ce corps vivant d’influences, d’écritures et de tonalités variées, continue de s’amplifier grâce à des acquisitions nombreuses, qui se sont encore intensifiées dans les trois dernières années. Il méritait donc un traitement approprié, et certains égards dus aux services qu’il peut rendre. Dans ces perspectives, la plus urgente nécessité était de procéder à la remise en état sanitaire d’une branche du patrimoine muséographique particulièrement vulnérable. C’est ce qui a été mené à bien au cours de plusieurs campagnes successives, après établissement par une étude précise des caractères et des faiblesses physiques du cabinet graphique du château de Pau. Que Rebeca Zea, restauratrice agréée, soit ici vivement remerciée, car cet approfondissement et les interventions qui en découlent ont exigé de singulières capacités d’adaptation, compte tenu de l’extrême hétérogénéité des œuvres. Étroitement lié à cette réouverture du dossier graphique, l’établissement de fiches d’identification répondant à un cadre descriptif plus rigoureux que celui en vigueur a mobilisé de nouvelles énergies. Il s’agissait en outre de procéder à une réactualisation générale de ces informations et à leur révision sous l’angle de la numérisation et de l’incorporation du patrimoine des musées aux bases documentaires et iconographiques. Les données de la recherche s’attachant de façon spécifique à chacune des œuvres décrites visent essentiellement à dresser un état des lieux documenté de nos connaissances et de nos lacunes, en proposant quelques orientations de recherche, sans autre prétention.
Chemin faisant, cependant, ce travail procurera peut-être d’utiles précisions à ceux qui, en dehors des valeurs les plus sûres du monde du dessin, portent leurs regards sur des noms plus obscurs, plus modestes. Bernot, Louis Charles Choquet, Auguste Böhm, Auguste Hadamard, Charles Vasserot, pour s’en tenir au XIXe siècle, méritent certainement d’être examinés de plus près – puisse le catalogue des dessins de Pau l’avoir au moins suggéré ! Ils sont ici présents en première ligne, ces artistes de deuxième ou de troisième catégorie qui, loin d’être dépourvus de tout mérite, n’attendent parfois que leur historien. Peut-être ces futures redécouvertes puiseront-elles ici quelques matériaux, même limités, qui trouveront alors toute leur signification. Quelques heureux dénouements auront permis de mettre un nom d’artiste sur des compositions incertaines : un projet de fronton pour l’église de la Madeleine à Paris, sous la Restauration, a retrouvé la paternité d’Alexandre Évariste Fragonard (cat. 158). Le plus souvent, cependant, c’est à la manœuvre inverse qu’il a fallu se livrer, en se repliant sur les positions d’un prudent anonymat. Mais, dans nombre de ces cas apparemment plus décevants, les investigations entreprises auront conduit à une meilleure identification des contenus et des circonstances d’exécution des œuvres considérées. Une Abjuration d’Henri IV qui avait été attribuée à Francesco Mola retrouve ainsi son milieu d’origine, en France, au cœur du XVIIIe siècle (cat. 52).
Au total, en se rendant disponible à des curiosités élargies, les deux cent quatre-vingt-trois dessins du château de Pau (dépôts compris2) renforcent leur cohésion et se débarrasseront de la gangue d’incertitudes, de présentations disparates et confidentielles qui voilait un réel sentiment d’unité. Constituée par achat ou par don, cette fraction des collections provient d’horizons fort variés : ventes d’atelier, ventes publiques, achats directs sur le marché de l’art, recours aux particuliers, aux amateurs, aux donateurs… Parmi ces derniers, la contribution de la Société des amis du château de Pau est à tous égards remarquable ; elle témoigne d’une exceptionnelle et constante générosité. Numériquement, elle peut être évaluée à soixante pour cent des entrées dans le domaine. Elle s’étend, de plus, des plus modestes et imprévisibles documents à des pièces maîtresses, comme Henri IV signant la ratification de son abjuration (cat. 27), attribué à l’atelier de Jacopo da Empoli3.
L’acte imparfait, effectivement lacunaire, consistant à établir le catalogue raisonné de tous les dessins conservés au château de Pau est néanmoins de nature à fonder, à partir de sources disparates, une véritable section muséographique et patrimoniale placée en miroir et en veille aux avant-postes d’un authentique musée Henri IV, bien digne de ce nom et de son environnement.
Paul Mironneau
1 – Auguste Pierre Famin, Recueil de plans du château de Pau et dépendances avec projets de restauration, 1824, album in-folio, reliure rouge, de trente-quatre plans, vues et dessins relatifs au château de Pau, provenant de la bibliothèque du Mobilier national (entré en 1928), inv. P. 499.
2 – Nous avons fait le choix de prendre en compte tous les dépôts effectués au château de Pau par d’autres établissements. La situation inverse ne se présente que dans deux cas mineurs, que nous avons fait figurer en annexe.
3 – Sur ces dons et leur signification, voir Paul Mironneau, « Les fruits de l’amitié. L’enrichissement des collections du Musée national du château de Pau grâce à la Société des amis du château », BSACP, no 141, 2000-2, p. 7-12.
Auteurs : P. Mironneau, Cl. Menges
© Réunion des musées nationaux – 2007