Cat. 55
Vers 1785-1787
Plume, pinceau, encre et lavis bruns, rehauts de gouache blanche et de blanc rosé, papier vergé vert-gris
H. 54,7 cm ; L. 47,1 cm
Henri IV rencontrant Sully après la bataille d’Ivry
À l’occasion de son voyage en France en 1782, le grand-duc Paul, comte du Nord, futur tsar Paul Ier, reçut de somptueux présents contribuant à entretenir le rayonnement artistique de la France. Un important cadeau diplomatique devait encore faire suite à cette visite. Angiviller, directeur des Bâtiments du roi, et Pierre, Premier peintre de Louis XVI, se mirent d’accord sur le nom de François André Vincent pour les cartons de tapisserie destinés à la manufacture des Gobelins1 qui furent exécutés entre 1783 et 1785 (Henri IV qui envoie des vivres à Paris pendant le siège, Henri IV qui relève Sully prosterné à ses pieds, Henri IV rencontrant Sully blessé et Henri IV soupant chez le meunier Michaud). Ils s’inspiraient de La Henriade de Voltaire (première tapisserie), de La Partie de chasse de Henri IV de Collé (deuxième et quatrième tapisseries) et des Mémoires de Sully (troisième tapisserie, fig. 55 a). S’y ajoutèrent deux autres commandes, livrées en 1787 : Adieux d’Henri IV et de la Belle Gabrielle (toujours d’après La Henriade) et Discours d’Henri IV à la Belle Gabrielle, au sujet de l’estime et de l’amitié qu’il témoigne à Sully (de nouveau d’après les Mémoires de Sully).
L’artiste manifesta un goût tout particulier pour la scène de la rencontre avec Sully, citée dans l’avertissement placé en tête du catalogue de la vente Vincent de 1816 comme l’une de ses compositions les plus appréciées avec Le Président Molé saisi par les factieux, Aria et Pœtus, Guillaume Tell ou Pyrrhus à la cour de Glaucias2. Vincent devait d’ailleurs en donner plusieurs versions successives, outre le carton de tapisserie qu’il faut sans doute dater de 1784 (fig. 55 b) et qui se trouve exposé au salon Saint-Louis du château de Fontainebleau3. Une toile aujourd’hui perdue fut en effet envoyée au Salon de 1785 (no 67), une autre toile à celui de 1787 (no 23). Cette dernière, plus petite que la précédente, était destinée au comte d’Orsay, qui, par sa mère, Marie-Antoinette de Caulaincourt, se rattachait à Sully. Parvenue au musée des Beaux-Arts d’Amiens, elle y fut détruite dans l’incendie qui ravagea cet établissement en 19184 ; la gravure de Lebas pour les Annales de Landon5 en donne une représentation abrégée (fig. 55 c). L’esquisse peinte de petites dimensions acquise par le musée national du Château de Pau en 19846 (fig. 55 d), un dessin à la plume appartenant à une collection particulière7 (fig. 55 e), enfin le dessin dont il est ici question8, plus grand et plus dépouillé de détails historiques et pittoresques, survivent de la préparation et de l’accompagnement de ces développements successifs.
Le point de départ de ce grossissement biographique imagé doit être recherché dans le succès, au siècle des Lumières, des Œconomies royales de Sully, ou plutôt dans leur réécriture sous forme de Mémoires en 1745 par l’abbé de L’Écluse des Loges et dans les nombreuses rééditions (1747, 1752, 1763, 1767, 1778, 1788) de cet ouvrage qui prétend procéder à la remise en valeur d’un contenu moral et politique de premier plan… C’est à cette version très arrangée que font référence les livrets des Salons de 1785 et 1787. Il convient de citer le passage – bien que certains détails de la tapisserie, comme les croix de Lorraine sur les casaques des ennemis disposées sur la litière, ne figurent explicitement que dans les versions antérieures et plus authentiques du texte de Sully. Peu après la bataille d’Ivry (14 mars 1590), le ministre blessé, cherchant à gagner Rosny escorté de ses serviteurs et de ses prisonniers, de sa compagnie de gendarmes et de deux compagnies d’arquebusiers, tombe sur le roi, parti chasser dans ces parages sitôt après la victoire, et qui, retrouvant son ami, le réconforte en ces termes :
[…]. Le Roy s’approcha de mon brancard et ne dédaigna pas à la vüe de toute sa Suite de descendre à tous les témoignages de sensibilité, qu’un ami, s’il m’est permis de me servir de ce terme, pourroit rendre à son ami […] : et sans me laisser le temps de lui répondre, il s’éloigna en me disant : « Adieu, mon ami, portez-vous bien, et soyez sûr que vous avez un bon Maître »9 !
Il est malaisé, et sans doute prématuré, de formuler des propositions de classement rapprochant les différentes versions du sujet et leurs états préparatoires. Pour Jean-Pierre Cuzin, l’esquisse est à mettre en relation avec le tableau présenté au Salon de 1787, et le dessin [D1] avec cette dernière peinture ou encore avec celle, perdue, exposée en 178510. Pour Jacques Perot, le dessin [D1] vient après l’esquisse du musée national du Château de Pau et avant le carton exposé à Fontainebleau11. Dans un travail universitaire présenté en 1994, Charles Gaultier reprend cet ordre et mentionne le dessin [D2] comme nouvelle pièce à verser au dossier ; il précéderait, selon lui, l’ensemble des autres représentations. Certaines similitudes de gestes ont été observées en considérant d’autres scènes, ainsi en particulier une étude d’homme debout pour Auguste et Cinna (Salon de 1787)12. Ici, la sobriété domine : le roi n’a pas chaussé ses bottes, peu de personnages, fort peu d’accessoires. Certains détails disparaissent cependant dans d’autres versions, ainsi le cor de chasse, qui rappelle les circonstances de la rencontre ; si l’on ne retrouve cet instrument ni dans l’esquisse peinte du château de Pau ni dans le carton de tapisserie, il subsiste en revanche dans les deux dessins. Autre caractéristique commune dans ces deux dessins et dans la version de 1787 : le bras gauche d’Henri reste replié, la main sur le cœur.
On se contentera donc de noter de nombreuses analogies entre le tableau de 1787, tel qu’il nous est connu par la gravure, et les deux dessins [D1] et [D2] ; davantage encore entre les deux dessins eux-mêmes : disposition des personnages à droite, attitude du valet, gestes du roi, etc., même si d’autres analogies rapprochent le dessin [D1] de l’esquisse conservée à Pau. Quant aux particularités de caractère stylistique, la technique (plume, lavis brun rehaussé de gouache blanche sur papier gris-bleu ou gris-vert), à la recherche « [d’]une netteté presque agressive », s’affirme d’abord dans les sujets d’histoire, selon Jean-Pierre Cuzin. Les tracés impeccables de la plume et « le trait de contour [qui] s’impose avec décision » définissent une catégorie « raphaelo-poussinesque » ressortissant à une mentalité « rigoureusement néo-classique13 », tandis que d’autres œuvres autorisent des sensations plus picturales.
Henri IV et Sully se modèlent ici sur une sévérité pétrie des leçons de l’Antiquité, mais dirigée vers la représentation d’un fait tiré de l’histoire de France dont la tonalité initiale est des plus colorées. La gravité des visages, l’aspect de la civière, la disposition des personnages comme sur une scène placent ce dessin dans un registre radicalement différent de celui du carton et surtout de l’esquisse (un temps attribuée au troubadour Alexandre Évariste Fragonard), agrémentées de costumes chatoyants, d’un arrière-plan de paysage, d’une veine narrative colorée privilégiant une approche anecdotique du bon roi Henri14.
Notes
Auteurs : P. Mironneau, Cl. Menges
© Réunion des musées nationaux – 2007
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FIG. 55 a
Manufacture des Gobelins
D’après François André Vincent
Henri IV rencontrant Sully blessé, vers 1805-1815
Soie, laine
Pau, musée national du Château, inv. P. 142
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FIG. 55 b
François André Vincent
Henri IV rencontrant Sully blessé
Huile sur toile
Fontainebleau, musée national du Château, inv. 8457, MR 2690
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FIG. 55Â c
Michel Olivier Lebas (1783-1843)
Henri IV rencontrant Sully blessé
Salon de 1787
Landon 1833, pl. 82
FIG. 55 d
François André Vincent
Henri IV rencontrant Sully blessé
Huile sur toile
Pau, musée national du Château, inv. P. 84.7.1
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FIG. 55 e
François André Vincent
Henri IV rencontrant Sully blessé [D1]
Plume, lavis d’encre brune, préparation à la sanguine sur papier blanc
Collection particulière