Cat. 28
Vers 1623-1624
Plume, encre de bistre sur traces de pierre noire, encadrement à la pierre noire, papier vergé beige-gris
H. 49 cm ; L. 51,2 cm
Inscription effacée, en bas, au recto ; dessin légendé à l’encre au verso
Projets de cartons pour les vitraux de la grande salle de réunion de l’hôtel construit à Troyes en 1620 par la compagnie des Arquebusiers avec l’aide du duc de Réthelois. Aujourd’hui conservées à la bibliothèque municipale de la ville, « ces charmantes miniatures sur verre peintes [étaient] destinées, comme l’écrit Nicole Hany, à glorifier la royauté ». L’ensemble remonte aux années 1621 à 1624 portées sur certaines pièces, et sa valeur esthétique tient avant tout à son goût décoratif. Depuis la fin du XVIIe siècle, une tradition parfaitement digne de foi, quoique privée de toute base documentaire, l’attribue au peintre verrier Linard Gontier (suivi sans doute dans plusieurs cas par ses fils ou ses élèves), dont l’atelier marque le dernier apogée de cet art dans une ville où il était traditionnellement cultivé. Si quatre panneaux rappellent l’entrée d’Henri IV dans la ville de Troyes en 1595, mariant le dévouement dynastique à la fierté locale, les grands traits d’une histoire militaire glorieuse dominent le cycle, tiré pour l’essentiel d’estampes des règnes d’Henri IV et de Louis XIII.
Si, dans ces scènes historiques, Gontier ne surprend pas, le montage mythologique associant deux Hercule y représente la seule allégorie à grand développement et, de plus, la seule association des deux rois, des deux règnes qu’il était convenu d’exalter. Dans la précision du dessin et dans la fidélité du vitrail aux données qui s’y trouvent réunies, le verso offre un aperçu détaillé du combat d’Ivry qui ne prête guère à la discussion. Celle-ci concerne plutôt le recto, plus riche et plus obscur, et de surcroît beaucoup plus fluctuant quant à la version définitivement retenue par le vitrail. Sur ce dernier, le regard du jeune Hercule a changé de direction, l’arrière-plan s’est transformé, on distingue même d’importantes retouches (comme sur le visage du Béarnais) et l’on a corrigé les maladresses les plus spectaculaires, comme l’allongement (particulièrement inharmonieux) du bras d’Henri IV. Un article de Juliette Rigal, en 1977, a fait le point sur les sources iconographiques ; cette importante recherche recevra ici quelques compléments et nuances autorisés par le temps.
Henri IV en Hercule tient une massue et brandit une couronne, foulant aux pieds un centaure. Jeune Hercule adolescent, lauré, vêtu lui aussi de la dépouille du lion de Némée, levant la main gauche en signe d’acquiescement et foulant aux pieds un lion, Louis XIII vient compléter la composition. Des opérations furent lancées en août 1600 contre le duc Charles Emmanuel de Savoie par Henri IV lui-même, aidé de Biron et Lesdiguières. Bourg-en-Bresse, Chambéry furent enlevés dans le mois, le château de Montmélian en novembre ; le traité de Lyon, en janvier suivant, consacrait la victoire du Bourbon, bientôt relayée par l’art de la médaille. Après le grand médaillon de Nicolas Guinier en 16011 (Henri sous les traits de Mars combat victorieusement un centaure), Philippe Danfrie en 1602 corrigeait et précisait le montage mythologique et politique2 : à l’avers de sa médaille, Henri-Hercule en buste, vêtu de la peau du lion de Némée, et la devise ALCIDES HIC NOVUS ORBI ; au revers, le héros tenant levée sa massue, une couronne royale dans la main, terrassant un centaure, le tout portant la devise opportunius (fig. 28 a) : c’est la célèbre réponse à l’outrecuidance de ce prince transalpin qui, bravant la couronne de France et profitant des troubles civils en 1588, s’était jeté sur le marquisat de Saluces et faisait alors frapper ses propres médailles : un centaure foulant aux pieds une couronne et la devise opportune. L’idée vient de Sully, qui n’a pas manqué de s’en prévaloir. L’inscription placée au bas du vitrail : OPPORTUNIUS. D’UN BON PERE NAIST L’ENFANT TRIOMPHANT, ne laisse plus aucun doute sur la source d’inspiration – ni sur le curieux « Hercule en second », qui ne peut être que Louis XIII.
La symbolique herculéenne, particulièrement à l’honneur sous Henri IV, s’attache aussi à son fils dès ses plus jeunes années. À la fin de l’année 1622, vainqueur des huguenots, il impose l’édit de Montpellier le 18 octobre, entre triomphalement à Aix, à Avignon (où il rencontre le duc de Savoie), à Lyon le 6 décembre pour une véritable apothéose triomphale. Dans ces entrées, comme dans les médailles commémoratives, la référence au héros est toujours très vivante. Il n’y a de réelle concurrence qu’avec l’éclosion de la thématique solaire, par exemple dans le livret de l’entrée à Lyon qui reçut un titre évocateur : Le Soleil au signe du Lyon (Lyon, Jean Jullieron, 1623). Le lion, symbole traditionnel de la ville, incarnerait les liens privilégiés qui l’unissent au jeune souverain depuis la rencontre de ses parents, qui l’y conçurent, faisant de lui un vrai Lyonnais ! Lyonnais ou non, les Hercule-Louis XIII accompagnés d’un lion fidèle ou terrassé ne sont pas rares, et Linard Gontier n’aura eu qu’à puiser dans ce répertoire, selon une méthode plus régulière qu’imaginative consistant à faire entièrement reposer l’iconographie de ses sujets sur des émissions d’estampes et de médailles déjà consacrées par une bonne diffusion.
Le célèbre épisode placé au verso apporte confirmation de ce mode de composition parfois étrange dans son archaïsme et dans la résurgence d’événements parfois fort éloignés. La bataille d’Ivry, qui occupe le revers de notre dessin, serait ainsi à comparer avec une suite de deux gravures de François Hogenberg consacrée au sujet (Pau, musée national du Château, inv. P. 64.19.5) : L’Ordonnance de la bataille d’Ivry (fig. 28 b) et La Retraite du duc du Maine de la ville de Dreux (fig. 28 c), au moins à l’étape de la documentation du travail. Les analogies qui concernent la rivière, les villages sont saisissantes. Du point de vue de l’animation de la scène, le dessin de Gontier se situe à égale distance des deux gravures : entre les toutes premières escarmouches et l’accomplissement de la victoire, on assiste au point précis d’un renversement dont le caractère historique est déjà bien connu ; un habile compromis entre le plan de bataille et la narration de l’action héroïque mettant en lumière « le Roy », s’élançant sur son cheval. Quant au vitrail correspondant, ses dimensions, modestes, sont fort proches de celles du dessin (52 x 52 cm avec le plomb) ; il est de plus légendé des mêmes inscriptions (à quelques légères nuances près) signalant la position de chacun des corps de troupe. Le dessin est à grandeur d’exécution, il est complet, à la différence du vitrail, affecté de nombreuses lacunes, et les inscriptions ne laissent d’incertitude sur aucun des motifs, aucun des groupes représentés. Le village d’Ivry apparaît en haut à gauche, la ville de Dreux à droite ; au premier plan et à gauche, le paysage décrit église, maisons, villages, rivière. Les groupes ont tendance à s’éparpiller sur le pourtour et sur la colline du fond (hommes de Mr de Gyvry, de Mr le Baron de Biron, Suisses, lanciers et cavaliers), la disposition en ordre de bataille fait apparaître le système militaire en usage. Aux retouches portées aux légendes, aux différences de caractères (minuscules dans le dessin, majuscules dans le vitrail), on comprend qu’il s’agit d’une étude inconnue en 1888 d’Albert Babeau, ce qui justifie l’emploi de la même feuille pour les deux scènes et le tour elliptique de certains passages.
Notes
Auteurs : P. Mironneau, Cl. Menges
© Réunion des musées nationaux – 2007
FIG. 28 a
Philippe Danfrie le jeune (vers 1572 – 1604)
Médaille commémorative de la guerre de Savoie
Argent
1602
Zoom navigable
FIG. 28 b
François Hogenberg (1535-1592)
L’Ordonnance de la bataille d’Ivry
Burin
Pau, musée national du Château, inv. P. 64.19.4